Présentation des ateliers > Panel 1b : (Re)tracer les parcours de vie (1)

Panel 1b : Parcours de vie 1

Animé par : Christophe IMBERT & Isabelle André POYAUD

 

Regards croisés sur les parcours migratoires au Mexique et au Maroc

Danièle BÉLANGER (Pr. de géographie - Université de Laval - Québec - Canada) & Guillermo CANDIZ (Doctorant en géographie - Université Laval - Québec - Canada)

Cette communication porte une réflexion sur l’utilisation de la notion de parcours ou de trajectoire migratoire dans un projet de recherche réalisé au Mexique et au Maroc auprès de migrants ayant eu pour projet initial d’atteindre les États-Unis ou l’Europe. À partir du cadre conceptuel des parcours de vie bien développé en sociologie, nous analysons les parcours migratoires en tant que processus individuels situés dans des contextes spécifiques où les contraintes structurelles façonnent et circonscrivent le pouvoir d’action des individus. La réflexion proposée porte sur des entretiens recueillis entre 2013 et 2015 auprès de 56 migrants originaires du Honduras, du Salvador et du Guatemala (au Mexique) et de 30 migrants du Mali, de la Guinée et du Congo (au Maroc). En plus de l’analyse thématique des entretiens, nous avons effectué une reconstitution cartographique de trajectoires individuelles.  L’analyse des parcours à partir de cartes détaillées et annotées nous permet de mettre en évidence plusieurs aspects des parcours, dont la diversité des moyens de transport, les rencontres avec les acteurs de l’industrie de la migration incluant les passeurs et les organisations humanitaires, ainsi que les expériences de violence et les moments d’extrême précarité. En somme, la méthodologie proposée illustre la temporalité et la territorialité des parcours et de ses bifurcations caractérisées par l’attente dans la mobilité, la mobilité forcée et les transformations du projet migratoire.

 

Approches méthodologiques du privilège dans la migration : réflexions à partir d’une enquête sur les Français à Abu Dhabi 

Claire COSQUER (Doctorante - Sciences Po - Observatoire sociologique du changement)

Les Français résidant à Abu Dhabi constituent un flux migratoire privilégié, dans la mesure où ils bénéficient de positions socioprofessionnelles et conditions de vie afférentes très supérieures à celles de la population majoritaire – migrants originaires d’Asie du Sud. La dimension de privilège apparaît dans la forme et le contenu de leur expérience migratoire à Abu Dhabi, mais aussi dans les motifs principaux de leur migration ainsi que dans leurs expériences migratoires précédentes. Ce privilège dans la migration est indissociablement privilège ethno-racial : Knowles (2005, p. 107) estime ainsi que l’inégalité racialisée de choix et d’opportunités face aux routes migratoires cristallise l’une des formes de survivance de l’« Empire ».

L’épaisseur ethno-raciale de ce privilège migratoire induit au sein des protocoles de recherche une tension méthodologique : si l’entretien biographique permet de reconstituer les carrières migratoires, où s’objective le privilège dans la migration, celui-ci demeure souvent prisonnier d’une mise en scène de respectabilité. Aussi les résultats qui y sont obtenus quant à la clôture et à l’affirmation d’une identité ethno-raciale sont qualitativement différents de ceux recueillis par observation participante semi-cachée : en effet, si les interactions quotidiennes observées n’échappent pas tout le temps à la performance de respectabilité antiraciste, reste que l’observation participante permet l’accès à des moments d’intensité émotionnelle où s’altèrent et s’explicitent les mécanismes de distinction raciale.

 

Un siècle d’histoire urbaine de l’agglomération parisienne à travers les enquêtes de l’INED 

Catherine BONVALET (Directrice de Recherche - INED), Arnaud BRINGÉ (Chercheur - INED) & Christophe IMBERT (Enseignant-chercheur - MIGRINTER)

Cette séance a pour objectif d’étudier les transformations urbaines à travers l’analyse des comportements de mobilité des Franciliens nés entre 1900 et 1950. Pour cela, nous avons mobilisé les enquêtes anciennes de l’INED : l’enquête Peuplement de Paris de 1961 (générations 1901-1911), l’enquête Triple Biographie (3B) de 1981 (générations 1911-1935), l’enquête Peuplement et Dépeuplement de Paris (PDP) de 1986 (générations 1926-1935) et l’enquête Biographies et Entourage de 2001 (générations 1930-1950). Elles comportent toutes des questions sur les différents lieux habités depuis l’enfance (Peuplement de Paris, Biographie et Entourage), à partir de 14 ans (Enquête 3B) ou de la décohabitation (Enquête PDP). À partir des recensements de 1936 à 1999 et de ces quatre enquêtes de l’INED, on peut suivre toutes les migrations effectuées au cours du cycle de vie et étudier comment la répartition de ces générations dans l’espace parisien s’est modifiée avec le temps. L’analyse quantitative de près de 7500 trajectoires géographiques croisée avec l’analyse de plus de 300 entretiens réalisés depuis 1986 permettra de restituer la dynamique urbaine telle que l’ont vécue, subie, accompagnée, initiée les habitants de la région parisienne. Les générations nées avant et pendant la guerre ainsi que les premiers baby-boomers sont pour la plupart passés d’un mode de vie à la campagne ou dans les petites villes, de la ferme ou de la maison à l’habitat collectif dans la capitale ou sa banlieue, puis à la maison individuelle en petite ou grande couronne. Ainsi l’histoire résidentielle des générations 1900-1950 est-elle particulière parce qu’à la charnière entre deux mondes : la société rurale du début du XXe siècle qu’ils ont connue enfants et la société hypermoderne de la fin du XXe siècle à l’avènement de laquelle les baby-boomers ont contribué (Ascher, 2005, Bonvalet et Ogg 2009). 

 

Parcours de vies de migrants. Enjeux des interactions entre le monde associatif et celui de la recherche

Claire LEVY-VROELANT (Pr. de sociologie - Université de Paris VIII Saint-Denis) & Sarah CLÉMENT (Responsable du pôle développement et partenariats - Génériques)

La connaissance des parcours migratoires et des histoires de vie de migrants repose aujourd’hui sur « un art de collecter et d’interpréter » dont la recherche académique ne peut prétendre détenir le monopole. L’interprétation au sens large inclut les formes artistiques dont on sait qu’elles peuvent être considérées comme une des modalités d’expression et de compréhension des relations sociales. Pour s’en tenir aux récits, ils ont circulé de tout temps sous des formes variées, tant orales qu’écrites, autobiographiques que rapportée par un autre narrateur, privées que publiques. Le recueil et le traitement des récits sont des actions pour lesquelles, à la faveur d’un regain d’intérêt pour les migrations, mais aussi pour les initiatives collaboratives, chercheurs et acteurs associatifs sont susceptibles de travailler ensemble. Il convient d’ailleurs d’élargir le périmètre d’analyse de cette collaboration en amont comme en aval : en amont des actions de collecte et d’interprétation, il est nécessaire de réfléchir sur les méthodes, les moyens et les objectifs, et en aval, à la transcription/traduction, la conservation, la communication et la valorisation de ces parcours de vie de migrants. Croiser travaux de chercheurs et projets associatifs dans une même dynamique afin de penser les migrations autrement est la question que nous souhaitons mettre en discussion.

On peut distinguer trois types d’enjeux à cette collaboration : épistémologiques (la collaboration permet-elle de donner un nouveau cadre et une nouvelle ampleur à la connaissance de la question migratoire en général, et à l’apport des parcours de vie, en particulier ?) ; éthiques (le travail des chercheurs et des acteurs du monde associatifs s’inscrivant dans des logiques d’action et d’évaluation de leurs productions respectives très différentes, leurs motivations, leurs objectifs et leurs « codes de conduite » sont-ils compatibles ?) ; politiques (les choix des interviewés ou des archives ne répondent-ils pas à une prise de position, implicite ou explicite, en lien avec les rapports de force et l’évènementiel du moment ?)

Nous proposons de revenir ensemble sur un cas pratique. L’association Génériques a engagé en 2011 une campagne d’archives orales sur les luttes et mobilisations des immigrés pour l’égalité des droits. Avec une trentaine d’entretiens menés autour des témoins et acteurs de cette histoire, Génériques a souhaité mettre en récit, et en lien, les engagements et les mobilisations des acteurs de cette histoire. Souvent, ces acteurs ont pu mettre à disposition leurs archives afin d’enrichir leurs témoignages, archives qui ont été numérisées et mises en ligne dans le portail de l’histoire et mémoire de l’immigration, Odysséo. Génériques valorise ces archives également par le biais d’expositions virtuelles, comme celle sur l’histoire des foyers. Quel est le rôle joué par les chercheurs (historiens, sociologues, politistes) dans un tel projet, et quelle est la fonction de l’association dans cette transmission ? Cette question simple n’entraîne pas des réponses aussi aisées sur les modalités de la collaboration. En ces temps de « patrimonialisation » et de conservation généralisée des données utiles aux sciences sociales, une mise en regard des initiatives de type de celle développée par le CDSP de Science po serait aussi de nature à éclairer certains attendus.

 

 

 

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