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Panel 3b : Migrations et littérature

Animé par : Delphine PAGÈS-EL-KAROUI, Mélanie PÉNICAUD & Thomas LACROIX

 

 

Représentations littéraires et fonctions sociales des productions des auteurs d’origine judéo-maghrébine en France postcoloniale 

Ewa TARTAKOWSKY (Docteure en sociologie - Centre Max Weber - Université Paris 10)

Apparue progressivement dans les années 1950, au moment des premiers départs des Juifs du Maghreb à la suite de la création de l’État d’Israël et des tensions croissantes entre les communautés juive et musulmane à la période de la décolonisation, la production littéraire des écrivains d’origine judéo-maghrébine en France connaît une vitalité particulière à partir des années 1970.

Elle est le fruit d’une centaine d’auteurs originaires des trois pays du Maghreb, partageant une caractéristique, celle de l’exil. Ce sentiment d’un arrachement, voire d’une amputation, vécu dans la vie réelle, devient ferment littéraire. Naturellement les transfigurations littéraires de cette expérience personnelle et collective varient de l’un à l’autre, mais toutes s’alimentent, à un moment donné, de l’irrémédiable de la rupture, du sentiment du déracinement, des sortilèges de la mémoire et de la pression des interpellations identitaires.

Cette production littéraire possède également des fonctions sociales objectives tant pour la communauté ayant connu l’exil que pour la collectivité d’accueil et, dans une moindre mesure, pour la collectivité de départ. Trois fonctions sociales identifiées –mémorielle, historiographique et d’adaptation– permettant de comprendre plus largement des ajustements entre le groupe exilé et la collectivité d’accueil dans l’espace social global.

L’exil comme rupture sociale, culturelle et géographique, entraîne nécessairement des processus de remémoration et de mémorialisation dans un nouvel environnement, en fournissant un cadre à l’exilé, lui permettant de lutter contre le traumatisme éventuel d’une expérience tout en fournissant un cadre d’attaches et de référents pour le groupe migrant dans son ensemble. Du fait de son caractère collectif, ce processus peut également influencer les cadres sociaux de la mémoire de la collectivité d’accueil, à travers des revendications éventuelles de légitimation d’une mémoire qui jusqu’alors ne faisait pas partie de la mémoire collective dominante.

Ce retour à la mémoire correspond à un besoin plus global de la narration historique, conférant à cette littérature une fonction historiographique. Répondant aux objectifs de patrimonialisation du passé et de sa légitimation, la narration de l’histoire d’un groupe migrant permet de l’inscrire dans l’histoire globale, même si cette inscription ne s’opère qu’à la marge. Mais cet attachement au récit historique est à placer également dans le contexte plus large de l’écriture de l’histoire des Juifs d’Afrique du Nord : dans le contexte de ce double « déficit », lié à la fois au riche passé de l’historiographie ashkénaze et au poids prépondérant du génocide nazi dans l’historiographie juive, la littérature prend objectivement en charge l’histoire de l’exil des Juifs d’Afrique du Nord pour compenser le peu d’intérêt que suscitent à la même période les études du monde sépharade.

Dans la mesure où elle ne requiert pas un cadre scientifique, l’écriture littéraire permet une prise en charge immédiate de cette narration du passé et s’offre donc comme un moyen de publicisation – au sens de rendre public et de promouvoir – de l’histoire d’une population déracinée. Ces processus de patrimonialisation fonctionnent comme médiation entre le groupe exilé et la communauté d’accueil où le travail littéraire d’exil transcende –par le style, les topoï et les formes narratives– les réalités sociales et les lieux divers qui ont participé à la construction des individus. C’est donc à travers l’appropriation par les écrivains du nouvel univers socioculturel et l’inscription de leurs propres visions que s’effectue le travail d’adaptation à la nouvelle réalité au niveau individuel. À travers ce processus, c’est également toute la communauté –tant la collectivité d’accueil que le groupe exilé– qui bénéficie d’une traduction de l’imaginaire né dans les lieux d’origine et de la transfiguration nouvelle des représentations nationales. 

 

Touristes et exilés, imaginaires migratoires dans la musique hip-hop franco-congolaise. Le cas de Bisso na Bisso

Mélanie PÉNICAUD (Doctorante en anthropologie - MIGRINTER) 

S’inspirant de leurs expériences vécues, les écrivains congolais résidant en France prennent fréquemment la plume pour tenter de restituer des images de la migration et du migrant se voulant proches des réalités objectives. Ce positionnement discursif s’impose comme un contre-discours allant à l’encontre d’un imaginaire migratoire à la fois largement fantasmé et répandu, se diffusant principalement de manière orale et entretenant le mythe de la migration en France comme la clé d’une ascension et d’une réussite sociale incontestables. Or, si la littérature commence à être sérieusement investie par les chercheurs pour étudier les imaginaires et les expériences migratoires, d’autres voix de la migration, faisant l’objet d’un intérêt scientifique plus discret, s’expriment parallèlement pour, à l’inverse du geste de nombre d’écrivains franco-congolais, reproduire et alimenter des représentations exaltées et mythifiantesde la migration - qui sont aussi en grande partie des représentations populaires aux causes socio-historiques diverses.

Cette communication se propose de se pencher sur l’une d’entre elles en étudiant une forme d’expression artistique et littéraire populaire, chantée, diffusée à grande échelle et révélant, reproduisant et alimentant un certain imaginaire de la migration. Pour ce faire, l’analyse se concentrera sur la production musicale du collectif de musique hip-hop franco-congolais Bisso na Bisso (1999-2009). Développant les diverses représentations de la migration et du migrant véhiculées par les créations musicales du collectif, cette communication sera principalement centrée sur les imaginaires du migrant et sur le retour provisoire « au pays ». Les représentations du migrant et du retour seront mises en parallèle avec celles présentes dans la littérature franco-congolaise portant sur la migration, conduisant ainsi à faire émerger la vitalité d’imaginaires paradoxaux du migrant, pris, pour reprendre une formulation de Zygmunt Bauman, entre la figure paradigmatique du « vagabond » - ou de l’exilé - d’une part, et celle du « touriste » d’autre part.

 

 

 

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