Journée des Doctorants - Ateliers > Panel 4 : Contraintes d’une recherche ethnographique et stratégies de contournement

Discutante : Lucinda FONSECA

Résumé du panel

Logiques de production à court terme, inscription dans des réseaux de recherche, sources de financement et inscription dans des projets collectifs, comment les contraintes (économiques, sécuritaires, et politiques) que connaît actuellement la recherche pèsent-elles sur la conduite d’une ethnographie des migrations ? Ce panel expose les stratégies de contournement adoptées par les chercheurs leur permettant de transformer la contrainte en opportunité, et ainsi de générer de nouvelles perspectives de recherche et de nouveaux outils méthodologiques. 

 

Florence LEVY 

Résumé

Penser la labilité des expériences migratoires à travers le temps long de la recherche

Paradoxalement, l’absence de financement a influé de manière décisive et positive sur le contenu de ma thèse. Sa longueur, dix ans, m’a permis de suivre entre trois à neuf ans, un groupe d’informateurs privilégiés et de prendre conscience de l’évolution constante de leurs motivations migratoires. Celles-ci étaient sans arrêts reformulées au fur et à mesure de la migration et des changements de situations. D’abord définies en fonction de perspectives essentiellement chinoises, elles étaient remaniées suite à la découverte de nouveaux éléments (freins ou opportunités) sur l’environnement français mais également de changements provenant de Chine ou d’apparitions de nouvelles attentes personnelles ou de leurs proches, en Chine ou en France. Comment faire face à ces changements incessants, ces reconfigurations qui apparaissaient de plus en plus manifestes avec l’allongement de mon terrain ethnographique ? J’ai choisi de mettre ces changements au cœur de l’analyse, pariant sur leurs aspects heuristiques. La notion de projet migratoire utilisée comme dispositif d’enquête et fil de l’analyse permet d’être attentif à ces permanentes modifications et donc de mettre au cœur du questionnement l’instabilité, la labilité, la précarité qui façonnent l’expérience migratoire quotidienne des migrants sans-papiers. Un peu à la manière d’un fait social total, cette notion fait ressortir l’univers et les normes sociales dans lequel évoluent les acteurs. Elle fait apparaitre ce qui importe pour les migrants à la fois en Chine et en France : qui sont les personnes qu’ils prennent en compte dans leurs actions, quelles sont les normes et les dimensions (familiales, professionnelles, économiques, matrimoniales, de positionnement social) envisagées en priorité, comment s’articulent-elles entre elles, quels sont les aménagements que les acteurs s’autorisent ? La question est donc moins de parvenir à définir un projet migratoire mais de comprendre pourquoi il change. Ce point de vue amène également à adopter une  perspective méthodologique transnationale, et à prendre constamment en compte les différents lieux de l’incorporation des migrants. Mettre en lien les processus provenant des régions d’origine comme de ceux du pays d’installation, permet de mieux comprendre la marge de manœuvre et les choix des migrants, tout en rendant compte de la relativité dans le temps et dans l’espace de l’expérience des migrants.

Abstract

Long term research and the lability dimension of migration.

The length of my doctoral dissertation, which lasted ten years, has changed the nature of data I could gather. I followed 17 of my interviewees for 3 to 9 years to track the development of their migratory projects. Their migration expectations often changed. First, their projects were defined in line with their priorities in China, then they were reshaped after the discovery of new and unexpected pieces of information in the French context. But the evolution of situation in China or new expectations from migrants or their siblings in China also played an active role in the redefinition of migration plans. The more my ethnographic fieldwork lasted, the more the evolution of migration projects became obvious. How could I deal with these constant changes of migrants’ narratives? I chose to take into account these changes and to bet on their heuristic dimension. I used the notion of migratory project as a key element of the research and analysis. This notion enables to be attentive to the constant modifications of actors’ plans. It puts at the core of the research the dimension of instability and lability that shape the daily life of undocumented interviewees and their migration experiences. Like a total social fact, this notion reveals actors’ social norms and perspectives on the world. It highlights what matters to migrants either in France or/and in China: who are the significant persons, what are the negotiable or nonnegotiable norms? What are the primary dimensions (familial, professional, economic, matrimonial, social positioning) they think about before taking action? How do these dimensions articulate? What kind of accommodation do they made with their original migration plans? The point is not to define one unique migratory project but rather to understand why it changes. This approach is combined with a methodologically transnational perspective, which links the different spaces of migrants’ social incorporation, i.e. the country of origin and of destination. This viewpoint brings to light the space and place relativity of migration experience.

 

Oriol PUIG

Résumé

Le retour des migrants nigériens suite au conflit en Libye en 2011 : se rapprocher d’un groupe de migrants rapatriés à Niamey. Une ethnographie entre l’hônneteté et précarité

La guerre de 2011 en Libye entraine le retour forcé de milliers de migrants subsahariens. Résidant dans ce pays méditerranéen pendant des décennies, ils sont persécutés et accusés de complicité avec le gouvernement Kadhafi. Environ 300.000 citoyens nigériens sont contraints de retourner dans leur pays d’origine, le Niger, où ils font face à une situation de vulnérabilité et au défi de l’adaptation. Cette enquête ethnographique se focalise sur les conditions de vie de ce groupe dans le milieu urbain de Niamey, la capitale, où ils essaient d’assumer l’échec de leur projet migratoire et ils reformulent leur nouveau rôle social et familial, en reconfigurant leur propre représentation individuelle et collective. La Libye de Kadhafi constituait un Eldorado pour des milliers de migrants originaires des pays comme le Niger, attirés par les opportunités de travail et la rhétorique panafricaine du Guide. Ces circulations transsahariennes marquées par des liens historiques, économiques, sociaux et culturels ont été touchées par la chute de Kadhafi. Si les régions les plus affectées par ces retours sont Agadez, Tahoua, Tillabéry ou Maradi, notre recherche se situe à Niamey. Ce choix, motivé d’abord par des contraintes sécuritaires et financières, nous a malgré tout permis d’observer des spécificités intéressantes et singulières par rapport aux migrations urbaines et aux identités qui se construisent en conséquence. Dans notre cas, les difficultés rencontrées au cours de la recherche nous ont conduit à approfondir des aspects peu traités par la production scientifique aujourd’hui plutôt focalisée sur le milieu rural. Cette communication démontre que l’engagement, l’honnêteté personnel et la rigueur scientifique peuvent permettre de contourner certains obstacles dérivés des limites spatio-temporelles. Ces contraintes, devenues opportunités d’enrichissement intellectuel, ont contribué à approfondir les études sur la migration de retour, la croissance urbaine et la reconfiguration identitaire individuelle et communautaire.

Abstract

The returned Nigeriens migrants from Libya after the conflict 2011: approach to repatriate’s collective in Niamey. Ethnography between honesty and precarity

Libya’s war in 2011 caused the return to Niger of thousands sub-Saharan migrants who had lived in this Mediterranean country for decades. They were accused of being accomplices of Gaddafi’s regime. Hundreds of thousands Nigerien citizens returned home in vulnerable conditions and they are now working hard towards being reintegrated in their society of origin. This ethnography wants to analyse the conditions of this collective in the urban environment of the capital, Niamey, where the majority of them try to assume the failure of their migration project and try to reformulate their new familiar and social role, while reconfiguring their individual and collective representation. During decades, Gaddafi’s Libya was an Eldorado for thousands of economic migrants from a fragile country as Niger. Attracted by work opportunities and panafrican rhetoric of the Guide, they left their country to exercise as a non-qualified workforce in multinationals and in Libya’s public companies. This dynamic of circular trans-saharan fluxes, marked by economic remittances and social and cultural transfers, was weakened with the fall of the Gaddafi’s regime. The most affected zones by returns are Agadez, Tahoua, Tillabery and Maradi, even if we conducted our research in Niamey. The security problems and lack of funding influenced our decision to work in a region less affected. Nevertheless, this choice leads to some interesting specificities around urban migration and the returned migrants’ identities. In our case, it is because of these difficulties that we could assess in depth different topics less known by the main literature, usually focusing on rural areas. It is for this reason we consider that personal engagement, scientific rigour and individual honesty can transform some obstacles caused by space and time into positive aspects which contribute to intellectual enrichment about return migration, urban growth and identity reconfiguration.

 

Ali SAIT YILKIN

Abstract

To vote or not to vote - Political Behavior and Participation in Turkish Elections of Citizens Living in Europe

For some years now, sociologists and political scientists have begun to be interested in political rights of migrants in their hosting and origin countries as more states around the globe have allowed external voting and/or voting of non-citizen residents in local elections. New technologies and vibrant ties with the 'homeland' have led to the increase of political activism among migrants within transnational spaces and especially demands for right(s) to vote. In Turkey, until 2014, emigrants had to come to borders (airports, road or port checkpoints) to vote. In 2014, an amendment to the Law on Election adopted a few months before the presidential elections allows henceforth citizens living abroad to vote from the consulate they are registered in. This new system has been put into practice during the 2014 presidential elections and the two 2015 legislative elections (first in June, renewed in November). As a member and coordinator of AVANTI Project, a team of researchers led by Nermin Abadan-Unat and composed of professors and PhD students of Istanbul Boğaziçi University has examined for two years the political behaviour of "Euro-Turks", I have been engaged in field research (survey and observation in France (Strasbourg/Colmar) and Germany (Frankfurt) on voting sites, homes and places of sociabilization of migrants. From the 50 interviews I realized, I propose in this presentation a general picture of the way I took part in the teamwork but also how I positioned myself vis-à-vis interviewees in order to analyze their political behaviour. I will focus more particularly on the constraints and opportunities impacting my own PhD project in the framework of this collective program.

Résumé

Voter ou ne pas voter. Analyser le comportement politique et la participation aux élections turques des citoyens installés en Europe

Depuis plusieurs années, les politologues s'intéressent aux droits politiques des migrants dans leur pays d'accueil et dans leur pays d'origine. Parallèlement, certains États ont permis le vote de l'extérieur et/ou le vote des résidents non-citoyens aux élections locales. Les nouvelles technologies et les liens dynamiques des immigrés avec leur 'terre natale' ont eu pour conséquences le développement de l'activisme politique parmi les immigrés dans les espaces transnationaux ainsi que l'accroissement de leurs demandes pour accéder au droit de vote. En Turquie, jusqu'en 2014, les émigrés devaient venir aux frontières (aéroports, postes de frontière routiers et portuaires) dans le but de voter. En 2014, un amendement à la Loi sur les Elections a été adopté quelques mois avant les élections présidentielles et a permis aux citoyens vivant à l'étranger de voter depuis le consulat où ils sont enregistrés. Ce nouveau système a été mis en pratique aux élections présidentielles de 2014 et aux deux élections législatives de 2015 (en juin, renouvellement en novembre). En tant que chercheur et coordinateur du projet AVANTI, un projet de recherche mené par une équipe sous l'égide de Nermin Abadan-Unat et composée de professeurs et doctorants de l'Université de Boğaziçi (Istanbul) qui a examiné pendant deux ans le comportement politique des "Euro-Turcs", je me suis engagé dans un travail de terrain – enquêtes et observation en France (Strasbourg/Colmar) et en Allemagne (Francfort) – sur les lieux de vote, dans les domiciles et les lieux de sociabilisation des immigrés. A partir des 50 enquêtes que j'ai réalisées, je propose de dresser un tableau général de la manière dont j'ai pris part à ce travail d'équipe, mais aussi d'expliquer comment je me suis positionnée vis-à-vis des enquêtés dans le but d'analyser leurs comportements politiques. Je me concentre plus particulièrement sur les contraintes et opportunités qui ont influencé mon travail de terrain et ma recherche de doctorat dans le cadre de ce projet collectif.

 

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